Jordiah Mower,
Les Abysses de la Raison
Prologue : Dernier souffle
Le ciel était voilé cette nuit là, la pluie s’abattait violement sur Gilnéas, comme souvent dans cette contrée grise et triste des Royaumes de l’Est. Les quelques mendiants qui traînaient sur la route ne purent que remarquer la silhouette encapuchonnée qui courait à grande foulées vers le village de Pierrebraise et qui semblait fuir une menace terrible.
Fuir. Oui, fuir et s’en aller, survivre, quitter cet endroit maudit, c’étaient les seuls mots qui résonnaient dans l’esprit du jeune homme assailli par les trombes d’eau, balayé par le vent du nord. Jordiah n’avait plus qu’une chance de sauver sa vie. Son maître, Vitus Sombremarcheur, l’avait exhorté à partir vers le nord-est. C’était, disait-il, le seul moyen d’échapper au funeste destin qui planait sur la ville. Entre les worgens, créatures lupines et sanguinaires, qui avaient mis à sac la ville et l’armée morte-vivante de Lordaeron, Gilnéas, qui n’avait jamais été une terre très accueillante, devenait soudain aussi enviable que les confins du Néant Distordu.
Bien sûr, Jordiah avait eu une famille, et même deux dans son cas. Âgé de 8 printemps, il avait été témoin de la fin de sa mère, battue à mort par un père ivrogne qui sombra dans un coma dont il ne sortirait jamais sitôt son crime accompli. Le petit gilnéen avait fui, cherchant à échapper à la peur.
Mais il fut recueilli plus tard par deux pauvres habitants du village de Pierrebraise Durant dix ans, il avait travaillé comme une bête dans la mine pour pouvoir vivre de ses maigres revenus. Mais le travail épuisant, la pauvreté oppressante et la misère de son village lui firent prendre la route de la ville, la grande et fière Gilnéas. Il avait travaillé comme serveur dans une auberge, il avait fait l’entretien des rues pavées, gardien de nuit dans les propriétés des nobles. Puis le destin, implacable, s’était imposé à lui. Vitus Sombremarcheur et la magie noire avait croisé la route du jeune homme alors âgé de 23 ans qui devint alors apprenti auprès de l’érudit.
Mais tout était fini, du moins pour l’instant. Il fallait retrouver son village et récupérer ce qu’il pouvait pour quitter Gilnéas par la mer. Il irait voler une embarcation puis se débrouillerait pour mettre les voiles depuis les confins de la tourmente jusqu’à trouver un abri sûr loin de Gilnéas. Il allait survivre. Il devait survivre.
Lorsque, à bout de souffle, Jordiah arriva à Pierrebraise, il ne trouva pas ce qu’il pensait. La ville n’était pas en ruine comme d’autres hameaux, mais une atmosphère lourde et une insidieuse odeur de mort planaient entre les vieilles bâtisses. Le gilnéen ne s’arrêta que lorsque la place centrale fut en vu. Mais encore une fois rien de vivant ou de mort.
Des non-vivants. Des réprouvés, comme on les appelait. Leur réputation n’était plus à faire en Azeroth. Seulement, les sujets du Roi Grisetêtes, isolés du reste du monde, n’avaient pas vu de telles abominations depuis l’attaque du Fléau sur Lordaeron, si bien que lorsque les espions de Crowley avaient fait leur rapport, la peur avait secoué chaque fibre des gilnéens. Et ces cadavres animés avaient investi Pierrebraise. Mais Jordiah n’eut pas le temps de réaliser qu’il fallait fuir, deux guerriers à la peau flétrie et aux yeux jaunes l’empoignèrent pour le trainer dans la boue. Une silhouette leva ce qui semblait être une masse. Noir Total.
***
Au même moment, les troupes réprouvées consolidaient leur emprise sur la porte du Mur de Gilnéas, menées par Garrosh et ses orcs. Sylvanas, qui jusqu’ici était en Norfendre, revint sur ses terres pour sauver son peuple du massacre qui les attendait. Et, enfin, les défenses du légendaire mur cédèrent entièrement.
***
- Amenez-les ! Amenez-les tous ! Faites sortir ces pouilleux de la mine et apportez-les moi ! Rugit une voix éraillée et sortie d’une fosse qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Un soldat aux cheveux plaqués sur une face décomposée et rongée par les vers s’inclina devant le Réprouvé qui braillait ses ordres.
-Exécuteur, nous avons préparé le prisonnier. Nous attendons vos instructions.
-Eh bien allez chercher Valnov ! Qu’il sache que nous avons trouvé un nouveau cobaye.
-Tout de suite Exécuteur !
Le Réprouvé de Pierrebraise regarda son soldat s’écarter avant de poser de nouveau son regard sur le jeune homme étendu à ses pieds. Le cobaye avait été repéré sur la route par deux des Nécrotraqueurs de Belmond. Et il tombait au bon moment, ces méprisables larves humaines qu’il avait envoyées à la mine lui posaient problème. Bien sûr, il aurait apprécié de les massacrer jusqu’au dernier, mais les ordres sont les ordres et la machine de guerre réprouvée avait besoin de prisonniers à réduire en esclavage. Cependant, les gilnéens ont toujours été une épine dans le pied pour ceux qui les côtoyaient, pensait-il, et les petites révoltes qui agitaient la mine commençaient à se faire trop nombreuses. Mais il avait la solution, et elle était là, à ses pieds.
-Exécuteur, vous m’avez fait demander ? lança une voix ponctuée de déglutitions répugnantes et de raclements de gorge.
-Valnov, vous voilà enfin ! Vous allez pouvoir vous divertir un peu !
-Avec cette chose ? dit-il en désignant Jordiah de son doigt décharné.
-Oui, apothicaire. Je voudrais que vous offriez un spectacle à nos chers prisonniers. Un…avertissement en quelque sorte…je veux que vous leur montriez que personne n’est immunisé contre notre peste. Et peut-être qu’ainsi ils comprendront qui dirige ici et quel est leur rôle ici.
-Parfait, susurra le non-vivant vêtu d’une blouse tachée de sang et d’ichor, attachez le sur le poteau là-bas et demandez à vos soldats de placer les humains devant. Je me charge du reste, de la partie pratique.
En dix minutes, des dizaines d’hommes et de femmes enchaînés s’entassèrent devant le triste spectacle qu’offrait Jordiah, qui se réveillait, pieds et poings liés, attaché à un poteau. Comme pour marquer l’évènement, la pluie redoubla d’intensité, ruisselant sur les armures de l’armée putride et sur la peau couverte d’hématomes des prisonniers.
-Misérables ordures, pauvres raclures que d’autres nomment fiers gilnéens ! Soyez honorés qu’un représentant de la Dame Noire daigne vous adresser la parole ! Sachez que nous n’apprécions pas que vos pitoyables existences soient à notre charge, vous tuer serait plus facile. Nous vous épargnons. Mais au lieu de nous remercier en travaillant, vous osez vous plaindre et vous rebeller ! Alors celui des vôtres que vous voyez là-bas va vous montrer l’exemple. Valnov, à vous !
L’apothicaire s’avança vers Jordiah, une fiole verte à la main et un rictus malsain lui traversant ce qui restait de son visage. Mais le jeune homme, certain de mourir, cracha à la face du réprouvé.
-Aaaaah…la fierté gilnéenne, soupira Valnov avant de reprendre plus haut cette fois, Regardez ce qu’il en coûte de nous défier ainsi !
La main décharnée se leva, puis la fiole tomba avant de se briser aux pieds de l’humain.
Tandis que Jordiah se tordait, suffocant et hurlant dans un nuage de gaz vert, les prisonniers détournèrent les yeux, les femmes étouffèrent des sanglots amers en pensant au sort qui les attendrait peut-être. Cette nuit là, dans la lueur blafarde des lanternes de Pierrebraise, une vie avait été prise au royaume de Gilnéas, et d’autres avaient été brisées.
Jordiah n’était plus vivant. Mais il n’était pas mort. Il était devenu l’un d’eux.
Les Abysses de la Raison
Prologue : Dernier souffle
Le ciel était voilé cette nuit là, la pluie s’abattait violement sur Gilnéas, comme souvent dans cette contrée grise et triste des Royaumes de l’Est. Les quelques mendiants qui traînaient sur la route ne purent que remarquer la silhouette encapuchonnée qui courait à grande foulées vers le village de Pierrebraise et qui semblait fuir une menace terrible.
Fuir. Oui, fuir et s’en aller, survivre, quitter cet endroit maudit, c’étaient les seuls mots qui résonnaient dans l’esprit du jeune homme assailli par les trombes d’eau, balayé par le vent du nord. Jordiah n’avait plus qu’une chance de sauver sa vie. Son maître, Vitus Sombremarcheur, l’avait exhorté à partir vers le nord-est. C’était, disait-il, le seul moyen d’échapper au funeste destin qui planait sur la ville. Entre les worgens, créatures lupines et sanguinaires, qui avaient mis à sac la ville et l’armée morte-vivante de Lordaeron, Gilnéas, qui n’avait jamais été une terre très accueillante, devenait soudain aussi enviable que les confins du Néant Distordu.
Bien sûr, Jordiah avait eu une famille, et même deux dans son cas. Âgé de 8 printemps, il avait été témoin de la fin de sa mère, battue à mort par un père ivrogne qui sombra dans un coma dont il ne sortirait jamais sitôt son crime accompli. Le petit gilnéen avait fui, cherchant à échapper à la peur.
Mais il fut recueilli plus tard par deux pauvres habitants du village de Pierrebraise Durant dix ans, il avait travaillé comme une bête dans la mine pour pouvoir vivre de ses maigres revenus. Mais le travail épuisant, la pauvreté oppressante et la misère de son village lui firent prendre la route de la ville, la grande et fière Gilnéas. Il avait travaillé comme serveur dans une auberge, il avait fait l’entretien des rues pavées, gardien de nuit dans les propriétés des nobles. Puis le destin, implacable, s’était imposé à lui. Vitus Sombremarcheur et la magie noire avait croisé la route du jeune homme alors âgé de 23 ans qui devint alors apprenti auprès de l’érudit.
Mais tout était fini, du moins pour l’instant. Il fallait retrouver son village et récupérer ce qu’il pouvait pour quitter Gilnéas par la mer. Il irait voler une embarcation puis se débrouillerait pour mettre les voiles depuis les confins de la tourmente jusqu’à trouver un abri sûr loin de Gilnéas. Il allait survivre. Il devait survivre.
Lorsque, à bout de souffle, Jordiah arriva à Pierrebraise, il ne trouva pas ce qu’il pensait. La ville n’était pas en ruine comme d’autres hameaux, mais une atmosphère lourde et une insidieuse odeur de mort planaient entre les vieilles bâtisses. Le gilnéen ne s’arrêta que lorsque la place centrale fut en vu. Mais encore une fois rien de vivant ou de mort.
Des non-vivants. Des réprouvés, comme on les appelait. Leur réputation n’était plus à faire en Azeroth. Seulement, les sujets du Roi Grisetêtes, isolés du reste du monde, n’avaient pas vu de telles abominations depuis l’attaque du Fléau sur Lordaeron, si bien que lorsque les espions de Crowley avaient fait leur rapport, la peur avait secoué chaque fibre des gilnéens. Et ces cadavres animés avaient investi Pierrebraise. Mais Jordiah n’eut pas le temps de réaliser qu’il fallait fuir, deux guerriers à la peau flétrie et aux yeux jaunes l’empoignèrent pour le trainer dans la boue. Une silhouette leva ce qui semblait être une masse. Noir Total.
***
Au même moment, les troupes réprouvées consolidaient leur emprise sur la porte du Mur de Gilnéas, menées par Garrosh et ses orcs. Sylvanas, qui jusqu’ici était en Norfendre, revint sur ses terres pour sauver son peuple du massacre qui les attendait. Et, enfin, les défenses du légendaire mur cédèrent entièrement.
***
- Amenez-les ! Amenez-les tous ! Faites sortir ces pouilleux de la mine et apportez-les moi ! Rugit une voix éraillée et sortie d’une fosse qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Un soldat aux cheveux plaqués sur une face décomposée et rongée par les vers s’inclina devant le Réprouvé qui braillait ses ordres.
-Exécuteur, nous avons préparé le prisonnier. Nous attendons vos instructions.
-Eh bien allez chercher Valnov ! Qu’il sache que nous avons trouvé un nouveau cobaye.
-Tout de suite Exécuteur !
Le Réprouvé de Pierrebraise regarda son soldat s’écarter avant de poser de nouveau son regard sur le jeune homme étendu à ses pieds. Le cobaye avait été repéré sur la route par deux des Nécrotraqueurs de Belmond. Et il tombait au bon moment, ces méprisables larves humaines qu’il avait envoyées à la mine lui posaient problème. Bien sûr, il aurait apprécié de les massacrer jusqu’au dernier, mais les ordres sont les ordres et la machine de guerre réprouvée avait besoin de prisonniers à réduire en esclavage. Cependant, les gilnéens ont toujours été une épine dans le pied pour ceux qui les côtoyaient, pensait-il, et les petites révoltes qui agitaient la mine commençaient à se faire trop nombreuses. Mais il avait la solution, et elle était là, à ses pieds.
-Exécuteur, vous m’avez fait demander ? lança une voix ponctuée de déglutitions répugnantes et de raclements de gorge.
-Valnov, vous voilà enfin ! Vous allez pouvoir vous divertir un peu !
-Avec cette chose ? dit-il en désignant Jordiah de son doigt décharné.
-Oui, apothicaire. Je voudrais que vous offriez un spectacle à nos chers prisonniers. Un…avertissement en quelque sorte…je veux que vous leur montriez que personne n’est immunisé contre notre peste. Et peut-être qu’ainsi ils comprendront qui dirige ici et quel est leur rôle ici.
-Parfait, susurra le non-vivant vêtu d’une blouse tachée de sang et d’ichor, attachez le sur le poteau là-bas et demandez à vos soldats de placer les humains devant. Je me charge du reste, de la partie pratique.
En dix minutes, des dizaines d’hommes et de femmes enchaînés s’entassèrent devant le triste spectacle qu’offrait Jordiah, qui se réveillait, pieds et poings liés, attaché à un poteau. Comme pour marquer l’évènement, la pluie redoubla d’intensité, ruisselant sur les armures de l’armée putride et sur la peau couverte d’hématomes des prisonniers.
-Misérables ordures, pauvres raclures que d’autres nomment fiers gilnéens ! Soyez honorés qu’un représentant de la Dame Noire daigne vous adresser la parole ! Sachez que nous n’apprécions pas que vos pitoyables existences soient à notre charge, vous tuer serait plus facile. Nous vous épargnons. Mais au lieu de nous remercier en travaillant, vous osez vous plaindre et vous rebeller ! Alors celui des vôtres que vous voyez là-bas va vous montrer l’exemple. Valnov, à vous !
L’apothicaire s’avança vers Jordiah, une fiole verte à la main et un rictus malsain lui traversant ce qui restait de son visage. Mais le jeune homme, certain de mourir, cracha à la face du réprouvé.
-Aaaaah…la fierté gilnéenne, soupira Valnov avant de reprendre plus haut cette fois, Regardez ce qu’il en coûte de nous défier ainsi !
La main décharnée se leva, puis la fiole tomba avant de se briser aux pieds de l’humain.
Tandis que Jordiah se tordait, suffocant et hurlant dans un nuage de gaz vert, les prisonniers détournèrent les yeux, les femmes étouffèrent des sanglots amers en pensant au sort qui les attendrait peut-être. Cette nuit là, dans la lueur blafarde des lanternes de Pierrebraise, une vie avait été prise au royaume de Gilnéas, et d’autres avaient été brisées.
Jordiah n’était plus vivant. Mais il n’était pas mort. Il était devenu l’un d’eux.